vendredi 10 octobre 2008

Quel futur pour le prix Nobel ?


Quel futur pour le prix Nobel ?
Le prix le plus célèbre du monde affronte les défis du XXIe siècle. Face à l’explosion des connaissances et des branches du savoir, peut-il encore porter un jugement universel sur le progrès humain ? Le moment serait-il venu de le réformer, et si oui selon quelles modalités ? L’histoire du prix Nobel est connue. Fondée sur les vœux et l’héritage d’Alfred Nobel, la récompense la plus prestigieuse du monde est attribuée chaque année aux personnalités les plus marquantes dans les domaines de la physique, de la chimie, de la médecine, de la littérature et de la paix. Depuis 1901, date de la première cérémonie, plusieurs centaines de lauréats, de tous les domaines et de tous les horizons, ont ainsi vu leur nom et leur œuvre immortalisés.
Le prix Nobel a aussi fait des émules. La médaille Fields et le prix Abel pour les mathématiques, le prix Turing pour l’informatique, sans oublier des prix littéraires plus locaux comme le Pulitzer et le Goncourt peuvent dans l’esprit de certains publics avoir un pouvoir d’attraction équivalent. Pourtant ces récompenses, souvent complémentaires des prix distribués à Stockholm et à Oslo, n’ont jamais surpassé ces derniers dans l’imaginaire collectif. Après plus d’un siècle de cérémonies et de consécrations, le prix Nobel reste donc pour l’instant la référence principale de l’excellence scientifique, littéraire et humanitaire. Mais qu’en sera-t-il dans le futur ?
Le monde scientifique du XXIe siècle n’a guère de points communs avec celui que connaissait Alfred Nobel. Le nombre de chercheurs et la quantité de connaissances produites ont crû exponentiellement, les outils et les techniques se sont diversifiés, et les branches du savoir se sont ramifiées pour explorer des problèmes toujours plus pointus. La même complexité se retrouve dans la littérature, dont les horizons ont explosé depuis le début du XXe siècle, ainsi que dans la diplomatie et l’humanitaire, qui affrontent les défis d’un monde globalisé et en transformation rapide.
L’ambition du prix Nobel tout au long du XXe siècle, qui était de fournir une appréciation mondiale des travaux scientifiques, littéraires et humanitaires, se trouve aujourd’hui dépassée par les événements. Un prix annuel dans cinq disciplines peut-il vraiment refléter la complexité du savoir au XXIe siècle ? Peut-il en fournir une appréciation juste et crédible, alors que le nombre de nobélisables potentiels croît sans cesse ?
En un mot, ne faudrait-il pas élargir cette récompense, et en particulier l’étendre à d’autres domaines ? La question n’est pas facile, et ne possède pas de réponse unique. D’une part, un prix distribué de manière trop large, et ramifié en une multitude de sous-disciplines, perdrait sans doute une grande partie de sa force. D’autre part, une distribution trop faible pourrait à terme rendre la sélection trop arbitraire, et ne plus rendre compte de la richesse des sciences, des lettres et de l’humanitaire à l’échelle mondiale.
D’une manière générale, où va le prix Nobel, et quel est son véritable rôle ? Il ne s’agit pas, loin de là, d’un prix particulièrement réactif face à l’actualité scientifique. Cette année, le Nobel de médecine récompensera ainsi la découverte, déjà ancienne, du VIH et du papillomavirus, tandis que le Nobel de chimie récompensera celle, également ancienne, de la protéine fluorescente GFP. Le prix Nobel n’est donc pas, et ne souhaite pas être, un événement ancré dans l’actualité scientifique immédiate. Fidèle à sa vocation d’universalité, il laisse le temps aux idées de se développer et de faire leurs preuves, pour reconnaître celles qui auront réellement amélioré le bien-être de l’humanité. Si les grandes revues comme Science et Nature sont les arènes où se construisent mois après mois les connaissances scientifiques mondiales, le prix Nobel est l’acteur qui jugera ces dernières sur le long terme, et leur assurera finalement la pérennité.
Comprendre ce rôle essentiel du Nobel est peut-être la clé pour le rénover. Il semblerait logique, en effet, que des disciplines comme la biologie, la psychologie ou les sciences sociales, étant donné leur importance cruciale dans le paysage scientifique contemporain, soient récompensées en même temps que la physique, la chimie et la médecine. Sur le plan juridique, ce n’est pas irréalisable, moyennant quelques arrangements. La fondation Nobel n’a-t-elle pas donné son accord à la création d’un prix d’économie « en l’honneur d’Alfred Nobel », qui se confond facilement dans les esprits avec un « prix Nobel » d’économie ?
Pourquoi ne pas envisager une transformation radicale du prix Nobel, qui consisterait à doubler ou à tripler le nombre de disciplines récompensées ? Les révolutions en mathématiques, en informatique et, pourquoi pas, en philosophie et en art, bénéficieraient alors d’une nouvelle reconnaissance internationale. Le Nobel, plus que l’héritage de l’inventeur de la dynamite, (re)deviendrait une véritable référence universelle, et toute discipline représentée acquerrait ses lettres de noblesse, en étant reconnue comme indispensable pour le progrès de l’humanité.
Réformer ou pas le prix Nobel est une question intéressante, mais le véritable défi consiste, plus largement, à promouvoir le génie au niveau mondial. La société civile internationale doit être cimentée par une citoyenneté progressiste et ambitieuse, car c’est en valorisant les grandes découvertes, les grandes inventions et les grands projets que se développe le sentiment d’appartenance à l’aventure humaine. L’enjeu n’est donc pas de réinventer le Nobel, mais de réinventer le progrès.

Source Incertaine